Clodo déplumé
Au pays des corbeaux il y a aussi des clodos. Celui ci est ébouriffé, les plumes de traviole alors que les autres les ont bien lissées.
Ils avançent avec grâce alors que lui titube lamentablement, tel l'ivrogne lorgnant son verre de gnôle. Il arpente l'herbe grasse et picore les lombriques égarés.
Mais que vois je !? Il n'est pas seul le bougre ! membre d'une famille d'affranchi. Parrain respecté ou porte flingue désabusé ?
Il ne décolle jamais du square bondé, les ailes atrophiées, l'oeil vague. Parias, rebus. D'un pas claudiquant il fait fuir les Bichons manucurés et les joggeurs aux mollets dénudés.
J'imagine qu'ils ne sont pas nombreux à demander leur reste. Les pigeons détalent comme des moutons aériens. Les perruches piaillent depuis les hautes branches de leur cage et restent à distance de l'odorant volatile. Même les rats reculent devant le noir anthracite du corvidé redouté.
Quant aux canards cannibales, ils cèdent leur pain, ne becquetant que les miettes. Mais l'oeil est jaune, miroir d'une morale relative et un jour viendra...
Pour le moment la vie s'épanouit. Au milieu du peuple humain, la mafia des clochers vaque à ces petits rien. Le corbac m'observe, il attend la chute providentielle d'un morceau de mon déjeuner.
J'anticipe et lui lance un bout, je me dis que c'est peut être pour ce soir. Peut être que les canards lui tomberont dessus. Faisant ravaler sa chique au corvidé ébouriffé. Personne s'en apercevra, c'est comme ça. La vie d'un clodo, qu'il soit sous une tente ou au jardin des plantes, s'essoufle souvent dans l'indifférence.